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A l’heure des certificats de travail délivrés par des logiciels ou négociés à couteaux tirés, ceux-ci sont-ils encore bien utiles? Quel crédit leur accorder?

Tiphaine Bühler, PME Magazine 

« Ce collaborateur nous a donné pleine et entière satisfaction», cette rhétorique d’un autre âge fait sourire Mathieu Piguet, responsable du service juridique de la Chambre vaudoise du commerce et de l’industrie (CVCI). Il revient sur les fondements légaux du certificat de travail et les dérives de plus en plus fréquentes. Morceaux choisis.

Que risque un patron qui ne donne pas de certificat de travail ?

« Le certificat de travail reste obligatoire, sur demande du travailleur, ceci pendant la relation de travail et dix ans encore après celle-ci », rappelle Mathieu Piguet. L’employeur risque d’être condamné à devoir verser des dommages-intérêts (réd : de l’ordre de quelques milliers de francs) s’il ne le donne pas ou s’il tarde et que cela pénalise le travailleur au chômage dans sa recherche de travail. A noter qu’une attestation simple mentionnant la durée, la fonction et le cahier des charges ne suffit pas. L’appréciation du comportement et la qualité des prestations fournies, deux éléments subjectifs, doivent figurer. C’est une spécialité tout à fait suisse.

Que peut-on dire ou ne pas dire?

« La bienveillance et la vérité sont les deux principes de base qui doivent se conjuguer. L’employeur doit être critique s’il y a lieu de le faire, mais cela doit refléter l’intégralité de la relation. Si un collaborateur a bien fait son travail pendant 20 ans et que, depuis six mois, cela se passe mal, l’employeur ne doit pas se focaliser sur ces derniers mois », exemplifie le juriste de formation.

Les motifs de résiliation ne doivent pas être mentionnés en cas de licenciement comme en cas de départ volontaire, sauf si il y a une faute grave, de type infraction pénale. L’escroquerie, la gestion déloyales, la maltraitance d’un collègue, le harcèlement avéré engagent la responsabilité de l’employeur qui ne mentionnerait pas ces points.

Un exercice délicat, non ?

« On ne va pas mentionner l’infraction commise par l’employé, précise-t-il. Une tournure habituelle et de dire que le lien de confiance a été rompu, car le collaborateur a violé gravement ses obligations contractuelles. »

Que risque l’employeur en ne stipulant pas de tels cas ?

« Il existe dans la jurisprudence un cas où le futur employeur a attaqué l’ancien employeur ayant rédigé un certificat élogieux, alors que son collaborateur avait eu une gestion déloyale et qu’il avait récidivé dans son nouveau poste», pointe notre spécialiste. Le dédommagement du nouvel employeur est fixé par le juge et peut alors s’élever à plusieurs dizaines, voire centaines de milliers de francs, dus par l’employeur précédent qui avait omis de notifier ce risque dans le certificat de travail.

Ce montant vise à couvrir une partie des pertes occasionnées par le salarié malhonnête. Ces situations restent plutôt rares. A noter que la « clause Weinstein », l’équivalent d’une garantie de moralité, née du scandale sexuel ayant secoué l’industrie du cinéma en automne 2017, concerne plutôt les contrats d’acquisition et non les certificats de travail. Elle pourrait apparaître en Suisse.

Quid des travers répétés ou problèmes de santé d’un collaborateur ?

On parle souvent de la méthode du pont, visant à faciliter le retour à l’emploi de la personne quittant une entreprise ; cela afin de respecter le principe de bienveillance. C’est pourquoi on n’indiquera pas une incapacité de travail, sauf si celle-ci est de très longue durée ou qu’elle s’est produite à la fin du contrat et que vous n’êtes pas certain que la personne retrouvera ses capacités.

Les arrivées tardives fréquentes, les problèmes de comportement ponctuels, burnout ou alcoolisme ne doivent pas figurer dans le certificat de travail, sauf dans des situations vraiment particulières. « Dans le doute, mieux vaut s’abstenir, conseille-t-il. Le risque pour l’employeur est plus important d’avoir péjoré les chances d’un travailleur de retrouver un emploi en donnant un mauvais certificat que d’avoir omis de signaler un souci comportemental mineur.» En effet, l’employé est en droit de demander qu’on retire ces informations et il n’est pas rare qu’il motive sa demande en menaçant d’attaquer son employeur en responsabilité aux prud’hommes.

Que penser des logiciels qui délivrent un certificat de travail après y avoir entré le nom et le cahier des charges du salarié?

« Rien ne l’interdit, relève notre interlocuteur. Maintenant, la personne qui signe le certificat engage sa responsabilité légale. Elle doit connaître le collaborateur, être par exemple son responsable direct. Tout logiciel peut être une aide, mais il doit laisser la place à l’humain pour modifier et personnaliser le document. » Si la formule vous intrigue, le logiciel Weka manager propose des certificats de travail « sans ambiguïté juridique en un tournemain». Un slogan qui en dit long.

Une tendance se développe énormément dans les PME, celle du chantage autour du certificat de travail qui est négocié par le collaborateur sortant, écrit par lui ou son avocat en termes élogieux et signé par l’employeur. Il garantit l’abandon de toutes revendications du salarié sur le départ, fussent-elles justifiées ou non. En avez-vous connaissance ?

« Cela devient très fréquent, observe-t-il. C’est une arme de l’employé ou de l’employeur se faisant menacer de poursuites. Souvent, c’est une négociation centrale aux prud’hommes avec l’avocat qui rédige lui-même le document. Cette technique ne coûte rien à l’employeur pragmatique et le décharge d’une procédure éventuelle, parfois longue et coûteuse. »

Un arrangement financier accompagne parfois ce certificat de travail orienté, cela en échange de la renonciation au paiement d’heures supplémentaires, par exemple. On peut alors se poser la question de l’éthique de ce type de document qui peut être vu comme l’achat d’un bon certificat.

Y a-t-il un moyen d’identifier ces certificats arrangés et sont-ils légaux ?

« Il existe des règles pénales sur les faux certificats de travail dans lesquels on mentionnerait des tâches que l’employé n’a pas accomplies ou une position dans l’entreprise qui n’était pas la sienne, ajoute le dirigeant à la CVCI. Il n’y a en revanche pas de codes pour mentionner la pratique entre les lignes. » Toutefois, le collaborateur qui demande des adaptations s’expose à un coup de fil du futur employeur à l’ancien. Même si le signataire n’est pas censé revenir sur ce qu’il a écrit, la maîtrise du message reste beaucoup plus difficile.

Dès lors, faut-il encore accorder du crédit aux certificats de travail, que l’on peut voir comme un grand bluff?

« C’est sûr, dans certains cas, le certificat ne remplit plus son rôle initial. Maintenant, il reste un document central dans le processus de recrutement et c’est un élément incontournable du dossier de candidature, souligne-t-il. La loi n’a pas bougé depuis le siècle dernier et le certificat reste un point sur lequel il y a beaucoup de litiges et de revendications aux prud’hommes. » Cela dit, il ne va pas permettre de vous faire engager. L’employeur ne va pas avoir un déclic sur la base de ce document. Mais il va peut-être aider le postulant à passer le premier tour ou, à l’inverse, inciter l’employeur à ne pas engager cette personne. C’est pourquoi il reste important d’obtenir un certificat de travail complet, selon Mathieu Piguet.

A noter que les jurisprudences récentes vont dans le sens de la vérité. Les certificats de travail sont de plus en plus critiques et évitent les formules « bateau » qui ne veulent rien dire. Il faut mériter un adjectif dithyrambique. « Rappelons que le certificat est un document unilatéral, même si le principe de bienveillance est là, il ne doit pas céder aux mensonges et aux fausses affirmations », conclut-il.

Enfin, que penser des recommandations d’employeur sur LinkedIn, outil très utilisé des recruteurs ?

Elles n’ont aucun statut légal. La Suisse reste dans un système très classique et est la seule en Europe et dans les pays anglo-saxons, à imposer cette appréciation comportementale, ce qui surprend parfois les travailleurs étrangers.